Activer la mémoire de Guynemer pour essuyer l’affront de 1940

Le 11 septembre 1917, à l’issue d’un âpre combat aérien, Georges Guynemer disparait dans le ciel de Belgique. La France vient subitement de perdre l’un de ses héros. Les aviateurs, dont les exploits tiennent en haleine les Français, sont, avant même le début du conflit, de véritables icônes. Or, la manière dont la presse traite ces Chevaliers du ciel n’est pas la même pour tous les As. Certains sombrent complètement dans l’oubli à l’instar des bretons Michel Coiffard et Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais. Le nom de Georges Guynemer est revanche l’un des rares qui soit resté gravé dans la mémoire collective.

Carte postale. Collection particulière.

Au sortir du conflit, René Fonck incarne lui aussi l’héroïsme de l’aviation française. Ce dernier se prévaut d’ailleurs du titre honorifique « d’As des As » tout en incarnant le « vengeur de Guynemer »1. La popularité des deux hommes est telle que, durant l’entre-deux-guerres, des armateurs bretons n’hésitent pas à baptiser des navires en leur honneur. C’est ainsi qu’à Cancale, le Capitaine Fonck côtoie le Capitaine Guynemer2 et sans doute est-il, à cet égard, opportun de parler d’une véritable compétition mémorielle.

Mais l’étoile de René Fonck ne tarde pas pâlir. Dès les années 1920, son image se délite auprès du grand public. Elu aisément aux élections législatives de 1919, il déçoit progressivement ses électeurs qui ne lui renouvellent plus leur confiance lors des consultations électorales suivantes. De manière plus générale, l’ancien pilote semble échouer tout ce qu’il entreprend, participant notamment au naufrage de sa société de construction automobile3. Mais c’est bien la Seconde Guerre mondiale qui, en raison de son soutien au maréchal Pétain, permet de mettre un terme à la concurrence mémorielle entre les deux pilotes. Georges Guynemer incarnera désormais, seul, le véritable As de l’aviation française.

Cette transition semble particulièrement rapide, comme nous invite à le penser un court article publié, dans les colonnes de La Liberté du Morbihan, à l’occasion des 30 ans de la mort du pilote, en 1947. Anecdotique au premier abord, la tribune signée par René Michel est au contraire révélatrice d’une époque où la société se cherche de nouveaux héros. Et pour cause, à bien des égards, rappeler l’héroïsme de Georges Guynemer permet de réhabiliter la bravoure des combattants français bafoués lors de la défaite honteuse de 1940. Selon René Michel, la simple évocation du « nom prestigieux » du pilote français permet de rappeler un autre temps plus glorieux, celui « de l’autre guerre, la bataille de la Somme, les terribles combats de Verdun On ne passe pas… où nos poilus de tous poils s’imposèrent à l’ennemi »4. En autres termes, Georges Guynemer symboliserait à lui seul le courage du soldat français, celui dont « les blessures ne font qu’accroitre son allant au combat ». Selon René Michel, il serait donc naturel, afin de « perpétu[er] le souvenir du pur héros de la guerre 14-18 », que la Marine lui accorde le nom d’un bâtiment, de la même manière qu’elle a « donné les noms de Joseph Le Brix et Mermoz à deux frégates ».

Carte postale. Collection particulière.

A en croire les cérémonies commémoratives organisées en septembre 1947 « sur toutes les bases aériennes et au ministère de l’Air », l’intérêt porté à Georges Guynemer dépasse les simples colonnes de La Liberté du Morbihan. Cet enthousiasme n’est pas sans nous interpeller tant la société semble privilégier, à l’époque, la glorification des « martyrs » de la Résistance. Mais en recourant ainsi au souvenir de la Grande Guerre, n’est-ce pas au final l’idée d’une France éternelle, enjambant pour mieux l’effacer la parenthèse vichyste, qui est ainsi convoquée ?

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 Sur René Fonck, voir ACCOULON, Damien, René Fonck. As des as et pilote de la Grande Guerre, Toulouse, Privat, 2018.

2 « Nouvelles des bancs par la Sainte-Jeanne d’Arc, L’Ouest-Eclair, 24 janvier 1921 et « Grande pêche », L’Ouest-Eclair, 28 juin 1922, p. 6.

3 Sur ces aspects, voir Accoulon, Damien, René Fonck… op. cit.

4 « A propos d’un anniversaire », La Liberté du Morbihan, 18 septembre 1947, p. 4.